Djamila
Amrane – Minne
est morte. Campagne contre l’excision. Bordeaux, Marché de la poésie
avec Alain
Gorius. Hubert Haddad… Le café du Levant. Les
éditions Esthétiques
du Divers. Odilon Redon au Musée des Beaux-Arts. On tue les
canards du
Sud-Ouest par millions.
Début
mars
Mildred
Mortimer, universitaire américaine,
spécialiste des littératures de langue française (Maghreb, Afrique
subsaharienne), traductrice de certains de mes livres, amie de Djamila
Amrane,
historienne de la guerre d’Algérie, m’a appris sa mort, le
11 février 2017
à Alger. Elle est inhumée à Béjaia. J’ai connu Danièle Minne, alias
Djamila
Amrane, en Algérie, à Hennaya, près de Tlemcen. Le second mari de sa
mère,
Jacqueline Guerroudj, Abdelkader Guerroudj, était instituteur dans
« l’école de garçons indigènes » de mon père.
Jacqueline et son mari,
indépendantistes, ont été arrêtés et condamnés à mort par la justice
française,
ils ont été graciés, contrairement à beaucoup, dont Fernand Yveton, que
François Mitterrand, alors garde des Sceaux, a fait guillotiner.
Ils étaient amis de mes parents, c’est
ainsi que j’ai rencontré Danièle Minne, elle avait 15 ou
16 ans, j’étais
jeune adolescente. J’ai appris, plus tard, qu’elle s’était engagée très
jeune
dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Elle a été poseuse de
bombes à
Alger. Arrêtée par l’armée française, elle a été incarcérée dans la
prison pour
femmes de Pau où elle a rencontré des combattantes qui figurent dans
son livre Les
femmes algériennes dans la guerre (éd. Plon, 1991), préfacé
par Pierre
Vidal-Naquet. Elle a aussi publié un livre d’entretiens avec des
combattantes
algériennes (Khartala, 1994), préfacé par Michelle Perrot.
J’ai revu Djamila Amrane des années plus
tard, en France, à Saint-Quentin en Picardie, lors d’un festival de la
nouvelle. Elle a été interviewée par La voix du Nord.
J’ai revu Djamila à Paris, chez sa fille
Mina et au Centre Culturel Algérien où elle intervenait sur son rôle
pendant la
guerre de libération.
Djamila avait une jolie voix, douce,
apaisante. On ne pouvait pas imaginer la poseuse de bombes. Je n’ai
jamais
parlé avec elle de ce moment de sa vie. Je ne voulais pas la replonger
dans ce
qui a dû être, pour elle, je pense, problématique et douloureux, ni
qu’elle ait
à justifier l’injustifiable, à mes yeux.
Campagne des jeunes Françaises de pères et
mères africains, contre l’excision. « L’excision
parlons-en », sur
leur affiche un couteau ensanglanté. Dans le monde (Égypte, Soudan,
Somalie,
Mali, Mauritanie, Sénégal et aussi en Asie : Indonésie,
Malaisie…)
140 millions de femmes ont subi une mutilation sexuelle,
53 000 en
France. C’est lors du retour au pays que les filles sont excisées par
des
femmes au service des hommes et de la communauté. Il s’agit pour le
patriarcat
en vigueur de préserver la virginité des filles pour les maris et de
garantir
la fidélité conjugale. Pas de plaisir, davantage de fidélité… Pas
d’adultère…
Les
luttes des années 1980 ont permis de
considérer l’excision comme un crime et de le juger en tant que tel.
Malgré
cela, l’excision est toujours pratiquée et les familles excisent de
plus en
plus souvent les jeunes adolescentes lorsque, petites filles, elles ont
échappé
à la mutilation. Nathalie Marinier, directrice du Planning familial à
Paris
raconte que des jeunes filles revendiquent le droit d’être excisées
comme signe
d’appartenance à une communauté… C’est leur choix, disent-elles,
rappelant le
slogan féministe : « Notre corps nous
appartient. »
Déjà, dans les années 1980, certaines
féministes « blanches », de gauche, critiquaient
l’européo-centrisme
« blanc » qui luttait contre l’excision et les
mutilations sexuelles
subies par les femmes, au nom du respect des cultures, toutes les
cultures et
les traditions… Le féminisme occidental a pourtant combattu les
traditions et
coutumes érigées contre la liberté des femmes. Pourquoi les femmes
« d’ailleurs » devraient-elles subir des traditions
oppressives
injustes, chez elles, au nom de quel relativisme ?
Je me rappelle les polémiques de ces
années-là. J’ai toujours pensé que respecter l’autre, ce n’est pas
respecter ce
qui l’opprime et l’exploite. Que des jeunes filles, aujourd’hui, se
dressent
collectivement contre l’excision, des jeunes filles et leurs sœurs et
cousines
qui risquent l’excision, voilà un geste courageux que je salue, qu’il
faut
saluer et soutenir. Il faut aussi préciser que l’excision n’est pas une
prescription religieuse musulmane.
4 mars
À
la librairie de Fabienne Olive, Les
oiseaux rares, rue Vulpian dans le 13e
à Paris, présentation de
deux livres : L’angoisse d’Abraham, un
récit de Rosie
Pinhas-Delpuech (Actes Sud, 2016) et L’Orient est rouge
(Elizad, 2017),
un recueil de nouvelles que je viens de publier. La librairie a exposé,
pour
l’occasion, des aquarelles de Sébastien Pignon « Roses de
Damas en forme
de grenade ». Marion Richez qui a publié L’odeur du
minotaure
(Sabine Wespiezer éditeur, 2014), agrégée de philosophie, a dirigé la
rencontre
entre nous avec une grande finesse, gratifiante pour Rosie et moi. Un
plaisir
rare, ces rencontres aux Oiseaux rares, une
librairie passionnée,
énergique, efficace.
L’angoisse
d’Abraham, Rosie Pinhas-Delpuech (Actes Sud, 2016).
L’odeur
du minotaure, Marion Richez (Sabine Wespiezer éditeur, 2014).
11-12
mars
Bordeaux.
Salon de la poésie à la
halle des Chartrons, Alain Gorius, Tahar Bekri, Hubert Haddad que je
reverrai à
la Comédie du livre de Montpellier en mai, pour sa revue Apulée,
somme
littéraire côté Méditerranée, côté Sud, projet pharaonique qui lui
ressemble.
C’est lors d’un bal que mes père et mère se
sont rencontrés à Bordeaux, ils ont parlé, marchant au bord de la
Garonne. Ils
iraient vivre en Algérie, instituteurs au Bled, sur les Hauts Plateaux,
ils
auraient des enfants. Ils ont vécu l’un avec l’autre pendant plus de
cinquante
ans. Peut-être sont-ils allés dans la belle brasserie non loin de la
gare, Le
café du Levant où j’ai pris un café avec Monique Moulia,
l’une des
organisatrices du Salon de la poésie.
Le
café du Levant, Bordeaux 11/12 mars 2017 (Marché de la
poésie).
En face de l’Hôtel
Notre-Dame, un café au nom étrange : La
Pelle café, au
rez-de-chaussée d’une ancienne synagogue. La réceptionniste de l’hôtel
confirme :
c’était une synagogue construite par un commerçant juif il y a plus de
cent ou
cent cinquante ans. Elle est désaffectée depuis des années. On ne l’a
pas
détruite pour construire un immeuble « moderne ».
Aux
Chartrons, j’ai rencontré Colette
Bismuth et Dominique Jarrasse, éditeurs « Esthétiques du
Divers »,
une expression de Victor Segalen. Colette Bismuth a publié son travail
de
recherche sur les Synagogues de Tunisie. Avec
Colette et Dominique
Jarrasse, historien de l’art, nous avons redécouvert le peintre Odilon
Redon au
Musée des Beaux-Arts. Les éditions Esthétiques du Divers vont publier Expositions
et sociétés artistiques dans les colonies françaises 1830-1960.
L’ancienne
synagogue. Bordeaux, mars 2017 (coll. part.).
Trois
à quatre millions de canards tués
dans les élevages du Sud-Ouest. Contaminés par des oiseaux migrateurs
porteurs
de virus. Les paysans du pays de ma mère ne feront plus de foie
gras ? Le
foie gras viendra des pays de l’Est. Comment sont-ils
épargnés ? Les oiseaux
migrateurs les évitent ? Je n’ai pas oublié les foies gras de
ma mère, les
cuisses d’oie et les cous confits cuisinés dans la maison de la
Gonterie, près
de Brantôme, dans le Périgord vert. La maison va être vendue. Sébastien
et
Ferdinand, moi aussi, perdent un arrière-pays, le plus beau de France.
Le pays
de ma mère.
Cette
campagne électorale m’ennuie.
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