Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                                                   Journal d'une femme à sa fenêtre  

                                                                                                         suite 48
                                                                                              (janvier février 2017)

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L’ABC des colonies françaises. La Sous-France, de Rachid Oulebsir, une enfance kabyle dans la guerre d’Algérie. Cimetière Montparnasse, l’argent du terrorisme, caché entre les dalles. Daech détruit encore Palmyre. Dieu Allah, moi et les autres, un livre de Salim Bachi. L’affaire Théo. L’usurpateur infâme, Mehdi Meklat. Les Roms sous le viaduc. Une chambre à soi.

Début janvier

Les deux femmes libraires de la librairie Pages volantes à Paris, me réservent les abécédaires anciens. C’est ainsi que je m’amuse avec l’ABC des colonies françaises, 1946. Stéréotypes en images d’Épinal de l’empire colonial. « La brochure enfantine » publie des albums pour enfants « La rédaction de ces brochures a été confiée à des Membres de l’Enseignement qui, grâce à une longue expérience de l’Enfant, ont su se mettre à sa portée. »

 

                                                                            ABC des colonies françaises.

 

Je relis un récit de Rachid Oulebsir : La Sous-France, Souvenirs d’un écolier dans la Kabylie en guerre, 1959-1962 (éd. Ressouvenances, novembre 2016, Villers-Cotterêts), que m’a envoyé Jean-Louis Mohand Paul, typographe, traducteur, éditeur, fils d’un Algérien et d’une mère française.

Le récit de Rachid Oulebsir, journaliste, essayiste, oléiculteur dans son village natal en Kabylie, me rappelle le recueil : Une enfance dans la guerre, Algérie 1954-1962 (éd. Bleu autour, 2016) où quarante-quatre écrivains, nés en Algérie, enfants pendant la guerre, musulmans, chrétiens ou juifs racontent l’Algérie en guerre. Je retrouve des épisodes similaires : l’homme défiguré exhibé par les maquisards parce qu’il a enfreint l’interdit de la cigarette par le FLN, Nourredine Saadi raconte une scène semblable qui le terrifie, à Constantine. La peur qui provoque la fuite urinaire irrépressible, Jose Lenzini, N. Saadi. La menace d’empoisonnement et de cécité (Mohamed Kacimi). La ruse des femmes pour donner des pataugas aux maquisards (Tassadith Yacine). Les youyous des femmes (J.-J. Gonzalès)… Les contes traditionnels de la grand-mère et de la mère, qui rassurent les enfants (Nora Aceval). Les hélicoptères militaires qui terrifient les enfants. Les zones interdites et les villages de regroupement où l’écrivain, enfant, a souffert comme tant d’autres Algériens. Rachid Oulebsir insiste sur la cruauté des harkis et des « soldats noirs » qui torturent une jeune résistante et la tante du narrateur qui se donne la mort, sur la nécessité de soustraire les femmes et les jeunes filles à la voracité sexuelle des soldats français, harkis et sénégalais. L’écrivain rappelle aussi l’interdiction d’aller à l’école française imposée par le maquis en même temps qu’il fait l’éloge des instituteurs et des institutrices. Il termine son récit en affirmant que le pouvoir, après l’indépendance, a trahi le peuple. Peut-être y aura-t-il une suite à ce récit passionnant, concernant l’Algérie indépendante ?

Mi-janvier

Je traverse souvent le cimetière du Montparnasse. J’apprends, dans la presse, que des djihadistes ont caché de l’argent pour l’achat d’armes entre les dalles d’une tombe abandonnée.

Fin janvier

Daech détruit à nouveau les vestiges antiques de Palmyre. La vagabonde de la nouvelle que j’ai publiée dans l’Orient est rouge (Elyzad, 2017) « la vagabonde de Palmyre » a-t-elle été épargnée ?

Manon Paillot qui a contribué à la réédition de Je ne parle pas la langue de mon père et L’arabe comme un chant secret (éd. Bleu autour, aquarelles de Sébastien Pignon, cahier photos, 2016) m’envoie des photos d’écoles des « Hussards noirs », comme mes père et mère (il faudrait que j’aille en Algérie pour photographier les écoles de la colonie, on en verra peut-être dans le prochain recueil sur l’école en Algérie avant 1962 dirigé par Martine Mathieu-Job que publiera Patrice Rötig, des éditions Bleu autour).


                                                                

                                             école Bordeaux                                  école Saint-Emilion (Manon Paillot, juin 2016)


                                      école de garçons, Lanton                                             école de filles, Lanton
(Manon Paillot, juin 2016)

Début février

Je lis Dieu Allah, moi et les autres (Gallimard, 2016), de Salim Bachi, un écrivain algérien, né en 1971 en Algérie. Il raconte les sévices des maîtres de l’école algérienne, leur sadisme, l’enseignement de la religion et du Coran. À 15 ans, il ne croit plus en Dieu, il rejette la religion, il ne veut pas apprendre l’arabe. En 1995, sa rencontre à Paris avec Olivier Todd est décisive. Il sera écrivain. Il s’émancipe avec des Françaises, des Européennes. Il se marie avec une Française, acquiert la nationalité française et un fils.

Salim Bachi perd ainsi volontairement le pays natal, la religion musulmane, la langue arabe. Il critique le système politique algérien corrompu et les politiciens. On retrouve en écho les positions courageuses de Boualem Sansal et Kamel Daoud, contre l’islamisme.

 À Aulnay-sous-Bois, « l’affaire Théo ». Un jeune subit les violences de la police, il aurait été violé avec la matraque d’un policier. Ripostes des « quartiers » incidents, manifestations, incendies de bus en France, une semaine d’émeutes : Tremblay-en-France, Villepinte, Marseille, Bobigny, Paris, Torcy, Argenteuil, Nanterre, Mantes-la-Jolie, Les Ulis, Sarcelles, Épinay, Dijon… une carte de France de la colère contre les violences policières. Colère légitime.

Mi-février

L’affaire Mehdi Meklat de Bondy Blog. Les médias croient avoir découvert un nouveau génie de la banlieue. Ils ont besoin de scandales, ils en vivent. Le jeune homme de la Seine-Saint-Denis, chroniqueur à Bondy Blog et à Radio France a publié deux livres au Seuil avec son complice Badrou, un duo efficace, les « Kids ». On les invite sur les plateaux jusqu’au jour où on découvre le double de Mehdi Meklat, Marcelin Deschamps (un nom qui lui paraît très français) qui twitte quarante mille injures antisémites, racistes, homophobes, misogynes depuis plusieurs années.

Pour Mehdi Meklat qui semble s’excuser, pour ne pas se priver des plateaux médiatiques, c’est un acte littéraire, artistique… Il ruse ainsi pour exprimer sa haine de la liberté, des mœurs de l’Occident… Il fait même l’apologie du terrorisme. Sera-t-il jugé ? Rien n’est sûr. Le délai de prescription pour les propos racistes et antisémites n’est que d’un an. La Licra a porté plainte. Peut-être le Mrap.

Mehdi Meklat représentait pour ses admirateurs médiatiques la nouvelle génération prometteuse de la banlieue. Bondy Blog ne l’a pas licencié ?

Fin février

Je retrouve des photos de l’été 2016 : les roms sous le viaduc.

La famille de Tatsiana est retournée en Roumanie. À son retour, Tatsiana sera une jeune fille. Elle mendiera toujours avec son père au coin de « L’atelier des saveurs » boulevard Blanqui, géré par une famille arabe qui a pris la suite d’une famille chinoise ?


sous le viaduc les Roms, octobre 2016 (coll. part.)

Une chambre à soi. Chez moi. Paris 13.

                                                                 une chambre à soi, septembre 2016 (coll part.)



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