Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                                                    Journal d'une femme à sa fenêtre  

                                                                                                           suite 46
                                                                                             (octobre décembre 2016)

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La villa mauresque, octobre 2016 (coll. part.)

Octobre
Des Roms et les migrants. Le rappeur Jo Le Phéno. La maison de Colette « Festival international des écrits de femmes » à Saint-Sauveur-en-Puisaye. Anne Garréta. Au bar-tabac-loto du centre-ville. La mairie. Les écoles. Les « pavés Saint-Sauveur » de la pâtisserie Mauriette. Paysage de la steppe natale.
Avec Françoise Navarro, rencontres-dialogues à Toulon, pas de carré musulman au cimetière, la Seyne-sur-Mer. Ollioules
Café le France. Tamaris, George Sand, la villa mauresque.

Mariage mixte interdit par son clan familial musulman en France. Le roi du Maroc défend un chanteur violeur marocain en France. Coquilles Saint-Jacques des côtes françaises pillées par les pêcheurs anglais et irlandais.

3 octobre

Rue Émile Ricard à Paris, le long du cimetière Montparnasse, des Roms ont dressé des tentes contre le mur. Sur une tente Quechua verte, un texte imprimé :
« Je ne suis pas un migrant donc pas de logement »

5 octobre

Le ministre de l’Intérieur Cazeneuve porte plainte contre le rappeur Jo Le Phéno pour son clip anti-flic:« Où sont les condés… Sans hésiter faut les fumer… Je pisse sur la justice et la mère du commissaire. »

7-8-9 octobre


Saint-Sauveur en Puisaye. Boulangerie-pâtisserie MAURIETTE (rue de la Roche) (coll. part.).

Rencontres de la Maison de Colette organisées à Saint-Sauveur en Puisaye par le directeur et son équipe, Frédéric Maget. Le lieu est superbe, Château-Musée Colette, la Tour Sarrazine terre de sienne, ronde et belle, le parc. Il faisait beau pour le Festival International des Écrits de Femmes. Un public nombreux. Curieux. Des libraires. Tables rondes et cafés littéraires où j’ai retrouvé les compagnes de mes routes françaises et féministes qui parlent dans Le pays de ma mère, voyage en Frances (Bleu autour, 2014). Cathy Bernheim, Liliane Kandel, Xavière Gauthier et aussi Françoise Picq, Martine Storti, Christine Bard… La belle voix douce de Julia Kristeva pour dire une parole intime, familiale et politique.

Une femme m’a intriguée. Habillée comme un homme, avec grâce, une coiffure blonde à la manière des « Signes de piste » court sur les côtés, une mèche rebelle à gauche ou à droite, elle a beaucoup parlé à la table ronde où je me trouvais avec une Iranienne et une Espagnole. On l’écoute. C’était Anne Garréta avec qui j’ai déjeuné à la même table, par hasard, avec Cathy Bernheim et son amie. Elle parle, on l’écoute. J’avais lu son premier livre qui m’avait surprise. J’en avais parlé avec un collègue, Michel Roguès, qui, je crois, la connaissait. C’était il y a plus de vingt ans. J’ai croisé Anne Garréta à Paris, quelques semaines plus tard (au moment où j’écris ce journal en novembre 2016, c’était il y a une dizaine de jours), j’allais au Select où elle devait se rendre aussi. Elle a parlé avec des amies. Je suis partie avant elle. Je parle un peu longuement de Anne Garréta, parce que c’est la seule personne avec laquelle j’aurais aimé parler en marchant dans le village où je me suis promenée seule. Je dis cela, mais je préfère marcher seule comme je préfère aller seule au cinéma ou dans un musée. Comme Colette, je peux dire « J’appartiens à un pas que j’ai quitté ». La maison de Sido pour elle, le pays de mon père pour moi.
Donc, je marche dans Saint-Sauveur. Je m’arrête au café de la place à L’hôtel de la Puisaye. Rendez-vous des habitans du village et de la région. La patronne sert elle-même, elle connaît tous les clients. Soixante ans, maquillée, trop. Sur la terrasse du café-tabac, des femmes, des enfants attendent le père qui boit… Au comptoir, un client a pris un petit blanc. Je lui demande comment on appelle les habitants de Saint-Sauveur (question à 1 000 francs ou question pour un champion…).
« Je suis pas d’ici. J’habite à 10 kilomètres, à Cévis (ne pas prononcer le « s »), y’a 300 habitants.
– C’est un hameau ?
– Ben non. C’est une commune, y’a une mairie, une église, une école.
– Vous êtes de la région ?
– Non, je viens de Paris.
– Votre famille est de la région ?
– Non. Ils étaient tous de l’Assistance. »
J’achète un Zig Zag bleu, avec le zouave qui me rappelle Le manteau de spahi de Colette. Son père avait participé, je crois, à la conquête de l’Algérie d’où il avait rapporté un magnifique manteau de spahi rouge. Lors d’un nettoyage de printemps, Sido a sorti de l’armoire un manteau mité. Le « Capitaine » s’est enfermé dans son bureau avec le manteau, longtemps. Il en est sorti avec un petit essuie-plumes.

La maison de Colette a été reconstituée à l’identique. Papiers peints, meubles, rideaux, bibelots, livres… Ainsi que le jardin de Sido. Les deux ifs me rappellent les ifs de Nohant où repose George Sand, moins les glycines dans les branches tortueuses des ifs.

Je descends vers la mairie et les écoles. Une librairie à droite. Sur la vitrine :
« L’homme est une femme comme les autres »

le tract, Saint-Sauveur en Puisaye
carte de la librairie, Saint-Sauveur en Puisaye.

Une belle mairie, pierre et brique. Les écoles au fond de la cour. Sur le haut fronton de la mairie : PRO PATRIA. « Place Paultre des ormes » devant l’entrée, le monument aux morts. Lettres d’or sur la stèle:
« 50e Anniversaire de la libération des camps Les A.C.P.G. du Canton »

« Hommage aux combattants et victimes de guerre ALGÉRIE MAROC TUNISIE1952 19 mars 1962 »

Mairie. Saint-Sauveur en Puisaye. 8 octobre 2016 (coll. part.).
Mairie-écoles. Saint-Sauveur en Puisaye. 8 octobre 2016 (coll. part.).
Mairie. Saint-Sauveur en Puisaye. 8 octobre 2016 (coll. part.).
Mairie. Saint-Sauveur en Puisaye. 8 octobre 2016 (coll. part.).
J’oubliais de dire que j’ai découvert grâce à ces rencontres, les « pavés Saint-Sauveur » aux raisins secs de la boulangerie Mauriette du village.
Je les ai dégustés sur le lieu même du Festival qui a organisé ces journées avec une grande attention.
J’oubliais aussi de parler du paysage entre Joigny et Saint-Sauveur. Champs moissonnés et labourés, couleur de la steppe dans mon pays natal, les Hauts Plateaux algériens, collines sèches surmontées de maisons blanches dans les arbres, comme les mausolées des Saints musulmans, outre-mer.

11 – 12 octobre


Avec Françoise Navarro, à Toulon, où elle organise des rencontres  avec moi un dialogue, à l’université dans le département de Martine Sagaert qui a dirigé, avec Yvonne Knibiehler un remarquable livre : Les mots des mères, du xive siècle à nos jours, Bouquins (Robert Laffont, 2016) et à la médiathèque Andrée Chedid de la Seyne-sur-Mer, où des femmes de la cité avaient écrit des récits d’enfance dans des ateliers d’écriture, certaines les ont lus, ils ont illustré des photographies de Femmes d’Afrique du Nord que Patrice Rötig, l’éditeur Bleu autour avait envoyées pour la rencontre. « Un échange énergique et chaleureux » m’a dit mon amie d’Aix-en-Provence Françoise Lott qui collabore activement à l’Association l’APA (Association Pour l’Autobiographie) dirigée par Philippe Lejeune, et à une revue « La faute à Rousseau ».
Françoise Navarro m’a demandé ce que je souhaitais faire. J’ai dit « Voir le carré musulman de Toulon. » Les Algériens sont nombreux dans la région PACA. Au cimetière, le conservateur originaire du Maghreb nous dit qu’il n’existe pas de carré musulman. « Prévu depuis des années, il ne se fait pas. » Il n’y a pas d’imam pour l’inhumation des musulmans et l’orientation de la tombe en direction de La Mecque. Nous marchons dans le cimetière, quelques tombes musulmanes qu’on reconnaît grâce à l’étoile et au croissant gravés sur la stèle et au nom arabe. Sur l’une des tombes, celle d’un enfant, sa photo dans un cœur, il porte une cravate, il doit avoir cinq ans, un Coran en pierre ouvert, une petite voiture au pied de la pierre tombale, deux jouets en plastique, une girafe et un éléphant, sur les paumes de deux mains en marbre, le nom et le prénom de l’enfant. Tout autour, des fleurs artificielles (que les musulmans ne mettent pas sur les tombes au Maghreb). Dans le cimetière de Toulon, un grand carré militaire. On peut lire « Aux victimes de la guerre qui ont lutté pour l’indépendance de leur pays. » Un mausolée pour les morts des colonies.

Cimetière militaire Toulon avec Françoise Navarro, octobre 2016 (coll. part.)

Le conservateur nous dit qu’il y a peut-être un carré musulman à Ollioules. Nous allons à Ollioules, une jolie petite ville du Midi. Nous déjeunons au Café Le France sur la place.


Café Le France. Ollioules, octobre 2016 avec Françoise Navarro (coll. part.)
Machines à coudre, Toulon, octobre 2016 (coll. part.)

Nous avons marché le long de la rade à la recherche des maisons mauresques de Tamaris. Au bord de la route, face à la mer, une grande maison couleur sienne, inhabitée semble-t-il. Sur la colline les chemins privés mènent à d’autres maisons mauresques. Michel Pacha voulait faire de la rade un « petit Bosphore ». Je lirai Michel Pacha publié par l’Harmattan.

Dans une maison de la presse, je découvre un livre de George Sand qui est venue se reposer à Tamaris : Le voyage dit du midi, février 1861-mai 1861 (éd. Livres en Seyne, 2012). J’en ai parlé à Michelle Perrot. Françoise Navarro me dit que Bruno Cyrulnik possède une maison à Tamaris, au bord de la rade. Nous ne l’avons pas croisé.
J’ai oublié de dire que j’ai lu en partie La fille du métro (éd. Al Manar-Alain Gorius) au théâtre Liberté de Toulon, administré par les frères Berling.
J’ai oublié aussi de noter dans ce journal ce qu’on pouvait lire sur une caisse en bois du comptoir du Café de France à Ollioules :« Le fin d’ici vaut mieux que l’eau de  »
(pour une leçon de grammaire sur les adverbes de lieu…)
Deux belles journées avec Françoise Navarro, une compagne attentive, curieuse, efficace.

avec Françoise Navarro à Tamaris. La villa mauresque, octobre 2016 (coll. part.)

20 octobre

Procès au tribunal de Reims.
Une jeune femme a porté plainte après avoir été battue gravement par deux cousines musulmanes soutenues par la famille. La jeune femme a une liaison avec un jeune Portugais catholique. Le père menace sa fille de mort. Exclue de sa famille, elle a dû s’exiler pour trouver du travail dans une autre ville.
Quel sera le verdict ? Les cousines nient toute violence.

Fin octobre

Le roi du Maroc au secours d’un chanteur violeur… Saad Lamjarred, chanteur marocain à succès est accusé de viol aux USA d’où il s’est enfui. Comment ? En France, concert annulé à la suite d’un « viol aggravé ». Il est en détention provisoire. Le roi du Maroc, Mohamed VI intervient en personne, je l’ai vu et entendu à la télévision, pour affirmer qu’il prendra à sa charge les frais du procès du violeur chanteur… Un chef d’État qui défend officiellement un violeur. On demandera à Saad Lamjarred d’épouser sa victime ? Toutes les violences faites aux femmes sont ainsi encouragées dans ce pays. Quelle a été la réaction des femmes marocaines ? On n’en a rien su. L’affaire a été étouffée : la COP 21 avait lieu à Marrakech quelques jours après, pour défendre la Planète Terre pendant que la victime du viol est abandonnée.
Les Anglais et les Irlandais pillent sur les côtes françaises les coquilles Saint-Jacques préservées par les pêcheurs français, parce qu’ils n’ont plus à obéir (Brexit oblige) aux consignes européennes. Ils congèlent les coquilles et les vendent moins cher sur le marché français. Un scandale qu’on a à peine dénoncé.


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