Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                                                    Journal d'une femme à sa fenêtre  

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                                                                                                  (juillet 2016)
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Roms sous le viaduc
 mai 2016(coll.  part.).


Mai 2016

 

Message à Daniel Mesguich, après lecture de son texte dans Une enfance dans la guerre, Algérie 1954-1962. Rencontre à la bibliothèque de Fatiha Toumi à Lyon. Ces réfugiés, mineurs isolés. Les Roms sous le viaduc. Les Chinois achètent des terres agricoles en France. On brûle des tonnes d’ivoire. Publicité raciste en Chine. Les Femen et Tariq Ramadan. La Butte aux Cailles, Paris 13. « Le grand pari » sous le viaduc, avec Rosie Pinhas-Delpuech.

Début mai

Albert Bensoussan, écrivain et traducteur, fidèle compagnon de mes collectifs algériens, me signale le message d’un homme qui a lu Une enfance dans la guerre, Algérie 1954-1962 (éd. Bleu autour, 2016). Dans le texte de Daniel Mesguich, il a reconnu ses deux enfants, égorgés par la femme de ménage. Il voudrait rencontrer Mesguich et d’autres témoins, si possible. Il a plus de 90 ans, il habite Cannes. Daniel Mesguich le rencontrera. Il nous racontera.

À la rencontre de Lyon, dans la bibliothèque du 1er que dirige Fatiha Toumi, Nourredine Saadi et Michèle Audin (la fille de Maurice Audin) ont parlé de leur texte dans ce livre, j’étais invitée aussi. Georges Chich a dirigé la rencontre comme un lecteur avisé, il est poète. Nous avons eu l’occasion de découvrir l’auteur du récit de guerre en Algérie de Madeleine Chaumat dont j’ai parlé dans ce journal : Algérie, le soleil et l’obscur (La rumeur libre, 2015). Elle était présente dans la salle, mais elle n’a pas souhaité parler d’elle, torturée à la Villa Sesini à Alger, puis incarcérée à la prison Barberousse dont parlent plusieurs auteurs du recueil collectif. Une femme courageuse, discrète, belle à bientôt 90 ans. Il aurait fallu rester plus longtemps, l’apprivoiser, parler davantage avec elle.


 

Des familles envoient leurs enfants, poissons pilotes qui se noient parfois, en Europe… Pour les sauver de la misère ou de la guerre. Les enfants isolés (Afghanistan, Mali, Inde, Pakistan, Égypte…), jusqu’à 10 000, disparaissent, pour la plupart, on ne sait où, ils sont la proie de proxénètes, de trafiquants de drogue. Ils sont contraints au travail forcé, au mariage forcé. Les familles ne le savent pas ?

 

Sous le viaduc, les familles de Roms. Les enfants ne sont pas des mineurs isolés. Ils sont en principe protégés par les père et mère, le clan. Sauf lorsque les chefs de clan exploitent garçons et filles, ils mendient, ils, elles se prostituent pour enrichir le chef. On sait tout cela, on le voit tous les jours, il suffit de marcher dans Paris. On peut assister à ces scènes de la misère près de chez soi. Que deviennent les filles, quel est le sort des femmes dans la communauté rom ? La presse ne mène pas d’enquêtes, les sociologues peut-être, mais c’est confidentiel, pas d’émissions à la télévision, parfois un reportage sur les quartiers et les villages roms à l’abandon et les belles villas des chefs de clan en Roumanie. Que fait la Roumanie pour ses Roms ? Pas de questions, pas de réponses.

Je vois toujours les deux sœurs, la grande, 12 ans, et la petite, 6 ans, sous le viaduc, dans le quartier. Elles tendent la main. Elles ne parlent pas le français « Bonjour », « Merci », « Bonne journée », rien d’autre. Les deux filles ont les beaux yeux verts, l’eau d’une rivière après l’orage, de leur mère, elles auront comme elle et le père, une bouche édentée, le joli sourire disparaîtra. Elles auront leur premier enfant à 14 ans, avec un mari imposé ? Tatsiana, l’aînée, reviendra, enceinte, sous le viaduc puis elle mendiera, son bébé au sein devant Auchan ou le G20… Combien de très jeunes femmes dans la rue, assises sur le bitume, allaitent un enfant, une fille à droite, un garçon à gauche, parfois un chien, je les vois dans tout Paris.

Roms sous le viaduc, mai 2016 (coll. part.).

Roms sous le viaduc, mai 2016 (coll. part.).

On ne sait que trop que la Chine est un prédateur, matières premières et aujourd’hui le foncier agricole. Elle achète des terres en Afrique, en Australie, en Amérique latine et, en avril, en France… bien sûr les agriculteurs français acceptent de ventre à prix fort aux Chinois, ce que d’autres agriculteurs ne pourront pas acheter, faute de moyens. 1 700 hectares dans l’Indre, à Clion, Châtillon, Vendœuvres, Anjonin… Ils veulent acheter en France 10 000 hectares. Que fait Stéphane Le Foll ? Il va mettre en place une mission… le temps que les Chinois achètent tout le foncier agricole ? On ne comprend pas que les autorités agricoles et politiques ne réagissent pas. La France n’est soucieuse ni de sa population et de ses futurs besoins alimentaires, ni de son indépendance, contrairement à la Chine.

On reparle du trafic d’ivoire, et que fait-on pour lutter contre, on brûle (au Kenya) 106 tonnes d’ivoire. Comme si des tonnes d’or, de pierres précieuses étaient incinérées…

8 mai

Le SDF ne dort plus sous le HLM en travaux, depuis plusieurs jours. Il se couche tôt, vers 18 heures. Il est là, assis sur le banc vert, ville de Paris, près des terrains de basket avec un sac Tati volumineux, sa maison. Il a dû cacher matelas et couette dans les buissons autour de la BNP.

 Une information qui, à ma connaissance, n’a pas été relayée comme elle aurait dû l’être. Pour épargner les Chinois ? Une publicité rapportée par le journal Le Parisien : une jeune Chinoise met une pastille de lessive dans la bouche d’un homme noir et le pousse dans la machine à laver. Un Asiatique sort de la machine, il lui plaît…

 Tariq Ramadan, islamologue suisse, petit-fils du fondateur des Frères musulmans en Égypte, invité au 33e congrès de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) au Bourget (50 000 visiteurs), est agressé à la tribune par quatre militants Femen françaises, torses nus sous l’abaya qu’elles lancent en direction de l’islamologue aux cris de « Allah n’est pas un homme politique ! ». Elles ont été expulsées par le service d’ordre. Elles auraient dû l’enlever, l’enfermer dans une chambre et… Ce que font tant d’hommes avec des femmes qui ne sont jamais consentantes. ON l’a vu en Syrie avec le régime Daech, un mouvement politique musulman… « L’Islam politique » que Tariq Ramadan dit vouloir construire. C’est pour cette raison qu’il demande la nationalité française ?

 Je me promène à la Butte aux Cailles. Terrasses de café jusqu’au milieu de la rue, presque, jeunes filles et jeunes hommes boivent assis, debout de grandes pintes de bière.


La Butte aux Cailles, Paris 13, mai 2016 (coll. part.).

29 mai

Avec Rosie Pinhas-Delpuech, qui vient de publier L’angoisse d’Abraham (Actes Sud, 2016), on se promène dans notre quartier. On arrive au viaduc. Une installation étrange : des tables et des tabourets en bois brut, deux lits, un homme dort, en roulé dans un drap blanc. Autour de la table, deux hommes, deux femmes. « C’est le grand pari », « on s’installe et on bavarde. C’est un geste citoyen. Des inconnus s’arrêtent, on parle avec eux. »

« C’est tout ? »

« Oui. On peut vous faire un café. On a un petit Butane. »

« Merci. Au revoir. À bientôt. »

31 mai

Ils sont encore là. Sous la pluie. Matelas et couettes roulés dans des bâches. Ils sont assis sur les blancs collés à la table, serrés les uns contre les autres. Ils ont froid.

Ils bavardent entre eux.


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