Novembre 2015
Les
Roms sous le viaduc. Le 13 novembre, massacres à Paris, Bataclan,
cafés dans le 11e, Stade de France, par de
jeunes Français et Belges
islamistes kamikazes. La Singer d’Istanbul. Algérie le
soleil et l’obscur,
récit de Madeleine Chaumat, ses prisons en Algérie pendant la guerre,
les
souffrances d’un corps supplicié.
10 novembre
Les
Roms. Le clan familial assis en cercle autour de la grille
chauffante sous le viaduc. C’est l’heure du déjeuner, j’aperçois de
loin le sac
rose de la petite sœur de Tatsiana. Ils ne sont pas allongés sur les
lits de
repas de l’antiquité gréco-romaine comme lorsqu’ils sont deux ou trois,
à midi
ou le soir.
11 novembre
Vols
de ruches par centaines, dans le Languedoc-Roussillon. Après les
pieds de vigne et les tracteurs dans d’autres régions de France. Les
abeilles
sont déjà décimées par le frelon asiatique et les engrais tueurs… Il
n’y aura
plus de fleurs ni de vergers. Une sorte d’Apocalypse avec le
déchaînement
terroriste islamique mondial…
Fin
novembre
Je
retrouve ces photos de ma chambre avec la belle enseigne SINGER que
Patrice et Deniz ont trouvée dans une brocante à Istanbul et puis une
aquarelle
de la Sioule dans l’Allier des éditions Bleu autour, peinte par
Sébastien (à
côté une grenade en ivoire). J’aimerais qu’elle figure dans le livre
que
Patrice Rötig prépare pour la réédition de Je ne parle pas la
langue de mon
père et L’arabe comme un chant secret
avec aquarelles, photographies
et commentaires, de même que le lavis du vieux Ténès.
Une
chambre à soi, l’enseigne
SINGER
d’Istanbul. |
Une
chambre à soi, aquarelle
de la
Sioule (coll. part.). |
Une chambre à soi, lavis Le
vieux Ténès,
2015
(coll. part). |
13 novembre.
Le matin
Boulevard
Blanqui, au coin de l’École Nationale Estienne, un groupe de
jeunes Arabes, deux filles et trois garçons, jeans bouffants, façon
sarouels
(ces pantalons larges que portaient leurs ancêtres de l’autre côté de
la mer),
on les appelle « Jeans-caca ». L’une des filles
s’adresse aux garçons :
« Eh ! les mecs… je connais une meuf, elle m’a dit
qu’un jour pendant
sa nuit de noces, son mari l’a renvoyée chez son père. Elle était pas
vierge… » « C’est pas possible, ça, ou alors c’est
des
Blédards… » « Ouallah, je vous jure… C’est
vrai. » Les garçons
rigolent. « Ils me croient pas, ces oufs, je suis sûre qu’ils
feront la
même chose avec leur femme si elle est pas vierge… »
13 novembre.
Vendredi, dans la nuit
Jour
néfaste pour les personnes superstitieuses. Jour de massacre à
Paris aux terrasses des cafés Casa Nostra, Le petit Cambodge,
La belle
Équipe, Café Bonne bière, Le Carillon, Comptoir Voltaire, au
Bataclan, 10e
et 11e arrondissements et Saint-Denis Stade de
France. Plus de 129
morts, plus de 300 blessés. Pour la première fois des assassins
kamikazes. 7
terroristes se suicident avec une ceinture d’explosifs sur le terrain
de guerre
parisien.
La
France, « le petit Satan », est la cible favorite des
Djihadistes, en Europe. 1 500 jeunes entre la France et la
Syrie.
Toute-puissance, sacrifice de soi pour la Cause, mourir en martyr…
Comment
lutter contre une telle force de conviction, jusqu’à la mort. Ils font
peur,
ils terrorisent, ils assassinent au nom de leurs propres valeurs,
fanatisés,
embrigadés. Dieu les a choisis, ils n’ont pas peur. L’équilibre des
démocraties
est en question, ils veulent la guerre civile dans les pays européens
et en
France en particulier.
Les
autorités musulmanes de France ne se sont pas encore exprimées le
samedi 14 novembre au lendemain du massacre.
État
d’urgence en France.
Mais
toutes les mesures paraissent dérisoires face au pouvoir d’un
terrorisme de masse qui ne frappe plus seulement des cibles précises
comme en
janvier 2015. Où ils veulent, quand ils veulent. La France est
vulnérable,
le monde est vulnérable face à cette machine de guerre terroriste, plus
forte
que toutes les armées les plus sophistiquées. Les Djihadistes
terroristes se
battent pour des idées auxquelles ils croient, ils sont jeunes,
enthousiastes,
leur vie a soudain du sens. Daech leur donne les moyens de passer à la
pratique, à la mort des autres, ceux qui ne pensent pas comme eux. Ils
sont
convaincus de la victoire. Ils meurent pour elle, dans leur jeune vie
de jeunes
barbares. Daech a revendiqué l’opération terroriste à Paris contre des
« lieux
de perversion ». Daech promet d’autres
« tempêtes ».
Samedi
14 novembre
Le
salon de l’autre livre n’aura pas lieu. L’espace des
Blancs-Manteaux à Paris est fermé samedi et dimanche, sur ordre du
Préfet de
Paris. Patrice Rötig et Deniz Ünal devaient présenter leur livre Une
enfance
turque, collectif dirigé par Elif Deniz alias Deniz Ünal,
publié aux
éditions Bleu autour de Patrice Rötig, qui raconte
son enfance à
Istanbul où son père était ingénieur. Un beau livre, des photos
d’enfance en
Turquie, des textes d’auteurs qui vivent en Turquie, en France, en
Angleterre.
Une diversité passionnante.
Samedi,
milieu de journée, les autorités musulmanes ont exprimé leur
solidarité avec les victimes des attentats.
Dimanche
15 novembre
À
Notre-Dame de Paris une messe pour les victimes, à la grande
synagogue de Paris une cérémonie en faveur des victimes de même qu’à
Lyon, à la
grande Mosquée.
Fin novembre
Fatiha
Toumi m’envoie un livre de Madeleine Chaumat : Algérie
le soleil et l’obscur (éd. La rumeur libre, 2015). Sur la
couverture, la
photo de la villa Susini à Alger. Pour aller au Clos Salembier où nous
vivions
dans la maison d’école de mon père, je passais presque chaque jour
devant cette
belle villa mauresque. J’ignorais, à ce moment-là de la guerre en
Algérie, ce
qui se passait dans cette maison. Je l’ai appris plus tard, l’Algérie
était
indépendante. Qui l’habite aujourd’hui avec cette sinistre mémoire de
la
torture ?
Madeleine
Chaumat qui s’est engagée aux côtés des indépendantistes
algériens raconte dans ce récit, ce qu’elle a subi, d’abord à la villa
Susini,
puis à la villa Mireille et enfin à la prison Barberousse à Alger. Sa
parole
est forte, intense sans apitoiement sur soi, elle dit la réalité brute
d’un
corps de femme qui souffre, une suppliciée qui perd son propre corps,
soumis à
des gestes de militaires tortionnaires français, sûrs de leur bon
droit, de
leur pouvoir sur un corps féminin qu’on détruit pour le faire
« parler ». Elle ne parle pas, elle subit la cruauté
militaire
coloniale : les décharges électriques (la gégène) sur le sexe,
les noyades
dans un bassin plein d’eau, de sang, de merde et de pisse d’autres
suppliciés ; elle subit les fouilles à nu des gardiennes
« toutes des
salopes ».
Dans
la prison Barberousse, elle entend les prières psalmodiées par les
prisonniers, le chant et les cris des hommes lors d’une exécution, les
hurlements des femmes, le bruit du couperet de la guillotine…
C’est
un brin d’herbe cueilli en secret, transplanté dans un minuscule
vase de papier d’argent qui l’aide à vivre et à retrouver le
« vert »
de l’enfance. Brin d’herbe sauvé par Zohra, son amie de Barberousse,
détenue de
droit commun, qui a compris le symbole de ce morceau de nature et de
vie.
Plusieurs poèmes rythment ce récit,
Madeleine
Chaumat cite aussi Anna Greki, son amie poète.
Un
livre qu’il faut lire. Bouleversant.
|