mai-juin 2015
L’ONG
israélienne « Rompre le silence ». La tombe de
Sartre et Beauvoir. Le domaine de la Trappe à Staouëli en Algérie.
Henri
Borgeaud, grand colon paternaliste, patron de presse, sénateur. Sa
volonté de
rester en Algérie après 1962. Les chaises des Roms sous le viaduc. Le
chibani
sur le banc vert. La baie de Somme. Fort-Mahon, Le Crotoy, Berck, La
petite
fille à la mer, Waben, Le café de l’agriculture,
Noyelles-sur-Mer, le
cimetière chinois.
Mai 2015
5 mai
Dans le journal Le
Monde, une double page de Piotz
Smolar, sur les dérives de l’armée israélienne à Gaza lors de
l’opération
« Bordure protectrice »,
8 juillet-26 août 2014, 2 100
Palestiniens morts, 66 soldats israéliens morts. Une ONG
« Rompre le
silence » composée d’anciens combattants de Tsahal dont un
quart
d’officiers publie lundi 4 mai un recueil d’entretiens avec
une
soixantaine de participants à l’opération. Violation des lois
humanitaires, pas
de distinction entre civils et combattants, justification des
assassinats
ciblés… Nouvelles lois de la guerre contre des terroristes, légalisées.
Tout
est permis. Tsahal a mis en cause l’ONG israélienne.
Pendant ce
temps, la colonisation se poursuit en Cisjordanie
et à Jérusalem Est, violente, arbitraire, suicidaire.
Mi-mai
Je marche
jusqu’au café L’alouette, rue de la Glacière.
Un homme de 35 ans environ, corpulent, est debout contre un
mur. Sur son
bermuda, couleurs brillantes, une tête de tigre, gueule ouverte, dents
menaçantes, à l’endroit exact du sexe.
Il fait beau. Je
vais au Select pour écrire des
nouvelles (le seul café où je puisse écrire court. L’été 2013 j’ai
écrit les
fragments du Pays de ma mère, éd. Bleu autour, sur
le papier vert et
blanc de la brasserie. Les garçons n’en donnent plus… Un ordre de la
direction ?).
Je descends le
boulevard Edgar Quinet jusqu’au cimetière
Montparnasse. La tombe de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir se
trouve à
droite de la grande porte verte. Toujours des visiteurs. Sur la pierre,
livres,
stylo et tickets de métro. Pour faciliter le passage de ces mécréants
dans
l’au-delà ?
Tombe
de Simone de Beauvoir et de Jean-Paul Sartre, mai 2015 (coll. part.)
Fin
mai
Des
photographies de N. la Trappe de Staouëli à une dizaine de kilomètres
d’Alger, La Madrague n’est pas loin. J’ai souvent entendu parler, en
Algérie,
de Henri Borgeaud (1895-1964), le colon le plus puissant d’Algérie. Un
domaine
immense, orangers, vigne, vin, primeurs, une ferme modèle avec
ateliers,
écoles, dispensaire, maisons pour les ouvriers et les employés
musulmans et
européens. Il croyait à la mission de progrès de la colonisation
civilisatrice.
Il était radical-socialiste. Famille suisse protestante rigoriste,
dynamique.
Naturalisé citoyen français, il est né en Algérie où il hérite de la
ferme
fondée par son grand-père Borgeaud en 1904 à Staouëli où il achète la
Trappe
qui existe depuis 1847. Les moines qui habitent le monastère ont une
devise
inscrite au fronton du bâtiment : « Ense, cruce,
aratro »,
« par l’épée, la croix, la charrue », elle s’inspire
de la devise de
Bugeaud, moins la croix.
Henri
Borgeaud a été sénateur et patron de presse (La Dépêche
quotidienne). Il a pensé, jusqu’à son départ en 1963, imposé
par les
autorités algériennes, qu’il resterait en Algérie et qu’il
travaillerait à la
réconciliation des communautés, de l’Algérie et de la France. Le
croyait-il
vraiment ?
En
1956, des fermes sont attaquées par des insurgés, dont la Trappe où
2 000 pieds d’orangers sont endommagés, dans le domaine
Tamzali les
oliviers sont coupés, comme les figuiers chez Bortolotti… Des vignes
sont
arrachées par centaines. On se rappelle des gestes identiques lors de
la
conquête de l’Algérie par l’armée de Bugeaud, et les oliviers coupés
par Israël
dans les champs palestiniens aujourd’hui.
J’ignorais
que Malika Boumendjel a vécu à la Trappe. Son mari a été
arrêté par l’armée française et défenestré. Je l’ai rencontrée à Paris.
Elle
m’a parlé de mon père qui avait accueilli ses fils dans son école du
Clos
Salembier à Alger. J’aurais aimé l’entendre parler de la Trappe et de
celui que
ses ouvriers appelaient « Le Seigneur » pour sa
générosité et sa
bienveillance, disaient-ils.
En
1957, septembre, Henri Borgeaud est victime d’un attentat à Paris.
Attentat raté. Henri Borgeaud continue à croire à une Algérie
française, moins
inégalitaire. Il ne quitte pas ce pays qu’il considère comme le sien.
Il est la
cible de la gauche française et du FLN qui voit en lui le symbole de la
pire
des colonisations.
Mars 1962,
signature des Accords d’Évian.
Juillet 1962,
Indépendance de l’Algérie.
Henri
Borgeaud ne quitte pas l’Algérie, désormais indépendante. À la
Trappe, il plante des rangées de cyprès sur plusieurs kilomètres. Il
parle en
arabe à ses ouvriers. Il ne partira pas.
En
mars 1963, le préfet accompagné de militaires algériens,
ordonne le départ de Henri Borgeaud et sa femme. Ils n’ont droit qu’à
une
valise. Sa femme veut emporter un nécessaire de couture offert par sa
mère,
elle l’oublie. Le grand propriétaire terrien tient à régler ses
ouvriers et ses
employés avant son départ, ce qu’il fait. Il quitte son domaine pour la
Normandie où il meurt en mai 1964, à Houlbec-Cocherel. Sur sa
tombe,
depuis la Trappe : un sarment de vigne, une motte de terre,
une branche de
pin, des bougainvillées.
La
Trappe est nationalisée.
La villa vidée de ses meubles.
Les cuves détruites et les vignes arrachées.
Les statues de la Vierge ont disparu.1
Aujourd’hui
le monastère est habité par des familles algériennes.
Le
cimetière des moines est interdit de visite.
L’agriculture
algérienne ne nourrit pas son peuple. L’Algérie par la
malédiction de la rente pétrolière et gazière importe tout ce dont elle
a
besoin pour vivre ou plutôt survivre, et malgré 20 à 30 % de
chômage, le
pouvoir engage des entreprises chinoises avec leurs ouvriers pour
construire
routes, autoroutes et logements. Les ouvriers chinois vivent dans des
baraquements indignes, comme en Chine, maltraités et sous-payés par les
patrons
chinois. Ils ne se plaignent pas…
Baisse
du prix du pétrole et du gaz, attentats islamistes qui se
répètent, vacuité du pouvoir, le Président ne gouverne plus, l’armée,
comme en
Égypte a l’économie en mains, une armée contre le peuple et
manipulatrice,
minée, comme toutes les institutions, par la corruption… Quand
l’Algérie
s’éveillera !
Mon
père vivant, serait malheureux de l’état de son pays natal. Il a
cru, comme tant d’autres, que l’Algérie indépendante deviendrait le
modèle du
Maghreb, de l’Afrique, de l’Orient… Le pays-phare. L’Algérie a la
richesse, la
jeunesse, l’intelligence vive, l’instruction généralisée aux filles et
aux
garçons. Que s’est-il passé ? Que se passe-t-il ?
Le jardin de
la villa Borgeaud à la Trappe de Staouëli
Ancien monastère de la Trappe
de Staouëli
Juin 2015
Début
juin
Le
SDF qui insulte les Arabes et les Noirs, marche sous le viaduc en
tenue estivale, bermuda, tennis, chemisette. Sa maison, un Caddie
rouge,
stationne sous les échafaudages des HLM autour du jardin
« Mail de
Bièvre ». Un jardin tropical pour l’été. Je vois presque
chaque jour le
chibani sur un banc vert du boulevard en face du jardin, grand, maigre,
digne.
Toujours seul. Costume impeccable, cravate, lunettes cerclées, il fume
discrètement. Je voudrais parler avec lui. Je n’ose pas.
Des
coquelicots poussaient au pied des arbres fruitiers stériles
plantés le long du Géant des Beaux-Arts et de la Boutique
du
Spectacle, rue Vergniaud. On a arraché les herbes folles, les
coquelicots
ont disparu.
Les
Roms sont partis.
Sous
le viaduc, des chaises. Une scène en attente de théâtre. Eugène
Ionesco a écrit une pièce intitulée : Les chaises.
Sous le
viaduc. Les chaises des Roms, juin (coll.part.)
22-25
juin
Avec D. Dans la baie de Somme.
Marcher le long de
la mer. Entendre la mer. Regarder la mer, elle descend, avec le soleil
et les
nuages. À Fort-Mahon. Le Crotoy. Berck, où une mère est arrivée en
train avec
sa fille de quelques mois. Abandonnée sur le rivage, la petite fille
est morte.
J’ai écrit une nouvelle pour Timur Muhiddine : La
petite fille à la mer.
À Waben, le Café de l’agriculture. À
Noyelles-sur-Mer, le cimetière
chinois de 1920. 849 pierres tombales en mandarin. Les forces
britanniques
ont emmené en France des Chinois de Mandchourie en 14/18, pour un
travail
forcé : terrassement, déminage, ramassage des morts décimés
par la grippe
espagnole. La plupart sont morts des suites de l’épidémie. Ce beau
cimetière
figure l’hommage des Anglais à ces travailleurs chinois. Est-ce qu’ils
reçoivent la visite de leur famille, aujourd’hui où les Chinois
voyagent en
Europe ?
café de
l''agriculture à Waben, juin 2015 (coll.part.)
cimetière chinois à
Noyelles-sur-mer, juin 2015 (coll. part.)
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