Leïla
Sebbar romancière et nouvelliste
Journal d'une femme à sa fenêtre
suite 72
(2020-2021
)
|
Place de la Commune de Paris, 1871 » Place de la
Butte-aux-Cailles la plaque a disparu (2019-2020) (droits réservés)
|
Album de photographies au temps du Covid
Je me promène chaque jour à la Butte-aux-Cailles, près de chez moi. Un quartier-village avec rues pavées, impasses, maisons, tabac-journaux, pâtisserie-boulangerie, truffes au chocolat exquises, les cafés, restaurants sont fermés. Une petite bibliothèque avec écrivain public, l’apiculteur parisien vend sa boutique, on peut boire un express au tabac-journaux-Loto, sur le trottoir, la librairie de la Commune, rue des cinq-diamants est ouverte, je vois en passant les livres de Xavière Gauthier et Éloi Valat en vitrine, de belles cartes postales de Louise Michel. Sur la place de la Butte, la plaque « Place de la Commune de Paris, 1871 » a disparu. Sur les murs, des fresques, des dessins, des portraits. Je marche jusqu’au figuier dont je parle dans Lettre à mon père (éd. Bleu autour) qui paraîtra, je pense, en mai 2021. Patrice Rötig, l’éditeur, m’a dit, lors du premier confinement : « Vous devriez écrire une lettre à votre père. » Je n’y avais jamais pensé. Le confinement a été heureux.
Rue Eugène Atget, 1857-1927, photographe. Vers la Butte-aux-Cailles
Le figuier de la Butte-aux-Cailles, Paris 13e, nov/déc 2020 (droits réservés)
Je marche, rue de la Butte-aux-Cailles, au bord des cafés fermés. Parfois, sur une table ronde, près de la porte ouverte, on boit un expresso. C’est ainsi que j’ai rencontré Claire Hoang, une amie eurasienne de mon fils Ferdinand, sur le trottoir du restaurant Le Mélécasse, non loin du Temps des cerises, « société coopérative ouvrière de production », que deux ouvriers repeignent en rouge. On a parlé un moment. Son père est vietnamien, il ne lui a pas appris sa langue. Elle est allée au Vietnam. Sa mère est française. A-t-elle rencontré le cinéaste Lam Lê ? Je lui demanderai au prochain café. Ce matin, je passe, une fois de plus, devant Chez Michel (Spécialités bières belges). Sur le mur de gauche, un couple s’embrasse. Je le connais. C’est Michel et Patricia dans À bout de souffle, le film de Jean-Luc Godard que Ferdinand et son ami Bruce regardaient à la télé, à Saint-Benoît-des-Ondes, ils avaient 10 ans. Ils avaient parlé avec un paysan qui leur avait dit que les musulmans étaient des adorateurs du soleil.
Rue de la Butte-aux-Cailles, 2020. À bout de souffle (droits réservés)
Une Marianne, rue Michal vers l’église Sainte-Anne. Masquée, elle est muette. Le texte à déchiffrer dit : « Les peuples sont à la fois patriarcaux, hétérocentrés, égocentrés, hypocrites et aussi incrédules. Ils ne pensent plus : hypnotisés par GAFA/Netflix/USA, leur guerre planétaire… Ça leur suffit. Ils aiment polluer, la 5G… bouffer du plastique. Ils aiment aussi le réchauffement climatique, la souffrance et la destruction du monde animal. Bref, les peuples aiment aller dans le mur. Tu es le peuple, tu aimes aller dans le mur. » Une autre Marianne, rue Simonet, vers la rue Jonas. Je ne l’ai pas photographiée à cause des nuages noirs.
Marianne rue Michal, la Butte-aux-Cailles, nov/déc 2020 (droits réservés)
La Reine des neiges, ramassée sur le trottoir.
carte de la Reine des neiges
Partout, dans le quartier de la Butte-aux-Cailles, jusqu’à la rue Vergniaud, en descendant par l’escalier du figuier, des bandes de papier collées sur les murs avec des slogans et des textes contestataires.
Rue de la Butte-aux-Cailles, La Butte-aux-Cailles, rue Michal, nov/déc 2020 (droits
réservés)
La Butte-aux-Cailles, nov/déc 2020 (droits réservés) La Butte-aux-Cailles, rue des cinq-diamants, Misstic, nov/déc 2020 (droits réservés) En bas de la Butte-aux-Cailles, nov/déc 2020 (droits réservés)
Les chats ont profité du confinement pour fuguer dans le quartier. Ils sont jeunes, noirs et blancs, roux, tigrés… Ils regardent les promeneurs, droit dans les yeux, affichés sur les murs et le tronc des arbres fruitiers stériles.
vers
la
suite précédente 71
|