Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                                                   Journal d'une femme à sa fenêtre  

                                                                                                         suite 59
                                                                                                      (juin 2018)







 Saint-Sernin-sur-Rance.
Statue/Victor l’enfant sauvage
(coll. part.), 26 juin 2018.

Voyage à Royan. Port-Say, les garçons arabes. Dry, Café de la Paix. La Rochelle. Une belle exposition du peintre Gustave Guillaumet 1840-1887, organisée par Marie Gautheron. Des cigognes. Albi, Toulouse-Lautrec, ses femmes. Victor l’enfant sauvage à Saint-Sernin-sur-Rance. Des hirondelles. Lodève, les tisserandes d’Aflou. L’atelier de couture, La Singer à Saint-Quentin-la-Poterie (j’aime ces noms de la France géographique). Ganges, la fresque murale Lucie Aubrac. Asquins, village d’enfance de D. vers Vézelay, le café Les hirondelles.


20 juin

Vers Royan, avec D. Pour marcher au bord de la mer. Comme dans l’enfance à Port-Say, en Algérie avec mes sœurs, Lysel et Danièle. On allait loin, seules, jusqu’à l’oued qui faisait frontière avec le Maroc. On cherchait des coquillages pour des colliers, et des porcelaines. Derrière les dunes, des garçons arabes nous regardaient passer, on apercevait une tête, deux têtes, à la crête d’une dune, on entendait des mots arabes. Ces trois filles qui ne ressemblaient pas à leurs sœurs, que faisaient-elles, marchant ainsi sur le sable, sans frère ni cousin, où étaient les pères et mères ? Ils parlaient entre eux. Parfois, un garçon, à plat ventre sur la dune descendait lentement vers nous. Je ne me rappelle pas avoir eu peur, comme lorsque les garçons d’Hennaya nous attendaient sur le chemin de l’école de filles vers le village d’en haut, pour nous insulter, nous filles de la Française qui nous laissait aller dans la rue, jupes trop courtes…

Après Beaugency, une chanson enfantine me revient : « Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry Vendôme, Vendôme… », on prononçait mal ces mots inconnus. J’ai oublié les autres paroles, on arrive à une petite ville : Dry. Au Café de la Paix, peintures sur verre, paravent exotique, un client au comptoir précise qu’on prononce « Dri » comme avec un i. Il dit « Je connais tous les noms des villes et des villages de France. J’ai fait le tour de France. Je suis Compagnon du Devoir. Pendant 7 ans, j’ai voyagé en France, dans la Boulange. Je suis boulanger dans le village d’à côté. » Un client : « Alors, vous avez le col bleu blanc rouge "Meilleur Ouvrier de France" – J’ai mieux que ça. – C’est quoi ? – Les Compagnons, on est meilleurs que "Meilleur Ouvrier de France". Je n’entends pas la suite. Je ne saurai pas quel est le signe distinctif des « Compagnons ».

21 juin

On arrive à La Rochelle pour l’exposition Gustave Guillaumet (1840-1887), un peintre amoureux de l’Algérie, du Désert et des traditions du peuple algérien, arabe et berbère.
C’est Marie Gautheron, historienne de l’Art qui a organisé l’exposition et le catalogue. J’ai appris qu’elle a travaillé avec l’historien de l’Algérie française et coloniale, Jacques Frémeaux, qui a participé à plusieurs collectifs sur l’enfance en Algérie avant 1962. Le Musée des Beaux-Arts est en partie fermé pour travaux. Je ne reverrai pas les toiles de Fromentin. L’exposition est passionnante, originale. Guillaumet est un peintre orientaliste singulier. J’écrirai un texte pour la revue de Marie Virolle : A Littérature Action qu’elle publie depuis plusieurs années. Marie habite Limoges. L’exposition aura lieu à Limoges dès octobre 2018 jusqu’en février 2019 et à la Piscine de Roubaix.


Couverture exposition

Sur une place, à La Rochelle, statue de Fromentin et 3 cavaliers arabes de fantasia. J’ai envoyé une carte à Lucien Igor Suleïman, mon petit-fils, l’unique.

Entre La Rochelle et Rochefort. Jusqu’à Royan.
Des cigognes sur un poteau
Une cigogne et un héron cendré dans des marécages
Une cigogne aux pattes de vaches rousses

25 jui
n

Albi. La belle ville rouge brique de Henri de Toulouse-Lautrec. Au musée Toulouse-Lautrec. Chaque fois. Surprise et plaisir.
Avenue Charles de Gaulle, une statue de Jeanne d’Arc. Je m’arrête toujours, partout, elle est partout en France, à la bergère exaltée, rebelle, intrépide guerrière de la liberté et de la passion, pensant chaque fois à Isabelle Eberhardt…
    Fleurs de lys sur sa jupe.
    Brodequin, jusqu’aux genoux.
    Fleurs de lys sur l’étendard.
    Sur un médaillon, l’inscription :
A
L’envoyée
de Dieu
Libératrice
De la France


Jeanne d’Arc à Albi.

On roule. On voit « École maternelle publique » et « Église évangélique ».
Vers Uzès.
Un héron cendré dans les champs.
26 juin
À Saint-Sernin-sur-Rance.
Dans l’Aveyron. Sur la place, la sculpture de Victor l’enfant sauvage du film de François Truffaut. Non loin « Séverine coiffure ».


Saint-Sernin-sur-Rance. L’enfant sauvage (coll. part.), 26 juin 2018.

Vers Lodève. Des hirondelles.
À Lodève, les tisserandes d’Aflou, femmes de Harkis, exilées. Elles avaient emporté les métiers à tisser domestiques. Elles ont tissé pour la Manufacture des Gobelins. Je vois, assise sous des tilleuls deux jeunes femmes en hijab et jupe longue noire. Elles bavardent. Trop loin pour les entendre. Elles parlent en arabe ? Elles seraient les filles des femmes d’Aflou ?
Dans la cathédrale, une statue de Jeanne d’Arc, debout, étendard et lance pointés vers le plafond céleste.
Je revois l’étrange Monument aux Morts. Les membres de la famille du Poilu sont debout, autour de lui.
J’ai pris des photos que je ne retrouve pas. J’ai écrit et publié une nouvelle dans le recueil Soldats (éd. Seuil), L’officier français, je crois.
On quitte Lodève, on voit « Église évangélique ».

27 juin

À Saint-Quentin-la-Poterie, un atelier de couture. Je prends des photos. Je les ai perdues. Au mur, une réclame ancienne : SINGER, comme celle de Paussac, près de la Gonterie, en Dordogne, le pays de ma mère.



Saint-Quentin-la-Poterie près d’Uzès, avec D. (coll. part.), 27 juin 2018.

Ganges, dans les Cévennes. Une médiathèque : Lucie Aubrac, 1912-2007. Une fresque murale, le portrait de la résistante, la carte de France.


Ganges (Cévennes), Médiathèque : Lucie Aubrac, fresque murale (coll. part.), 27 juin 2018.


Ganges (Cévennes), Médiathèque : Lucie Aubrac, fresque murale (coll. part.), 27 juin 2018.

Asquins, village de l’enfance de D. à la limite du parc du Morvan. Sur la route de Vézelay. J’ai revu le café Les hirondelles en allant présenter le livre : À l’école en Algérie de 1930 à 1962 (éd. Bleu autour) avec Martine Matthieu-Job qui a dirigé le collectif, Andrée Job, Aziz Chouaki, à la Maison Jules Roy de Vézelay.
Avec D., on s’arrête au café Les hirondelles, le patron dit que les hirondelles reviennent dans leur nid, comme les clients. Le café a été une auberge, il porte le même nom depuis cinquante ans. Le patron loue deux chambres à des saisonniers.


Asquins, Café Les hirondelles, patron (coll. part.), 27 juin 2018.



Asquins, Café Les hirondelles, (coll. part.), 27 juin 2018.




 


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