Leïla Sebbar romancière et nouvelliste

                                                                                   Journal d'une femme à sa fenêtre  

                                                                                                         suite 51
                                                                                                      (mai 2017)






école. Vieux Ténès 2017 (photo Thiébaut)

Luc Thiébaut m’envoie des photos du Vieux Ténès. Nora Aceval et Aïn Dheb. Au Musée National de l’Éducation avec Martine Mathieu-Job. La jeune Essia et son équipe féminine de foot à Échirolles. Une histoire de hijeb. La Chapelle à Paris 18e, le syndrome de Cologne. La Comédie du livre à Montpellier. La revue Apulée (Zulma) de Hubert Haddad. Un quartier maghrébin dans la Vieille Ville de Jérusalem. Attentats islamiques en Angleterre et en Égypte. De jeunes Israéliennes refusent de servir dans l’Armée.

Début mai

Sur les panneaux électoraux le long de l’École Estienne, boulevard Blanqui, portraits de 4 candidats à l’élection présidentielle. Les photos sont taguées.


François Fillon, mai 2017.(coll. part.).

Marine Le Pen (coll. part.).

Emmanuel Macron (coll. part.)

Jean-Luc Mélenchon (coll. Part.)

Panneaux élections boulevard Blanqui, École Estienne.

Luc Thiébaut que j’ai rencontré, il y a plusieurs années à Dijon pour la présentation de Mes Algéries en France, carnet de voyages (éd. Bleu autour) habite désormais à Rennes, où il fera la connaissance de Alain Amato et Albert Bensoussan qui ont collaboré à des collectifs d’enfance en Algérie avant 1962. C’est lors de cette journée qu’un ancien appelé d’Aflou, mon village natal des Hauts Plateaux algériens, Jean-Claude Gueneau, m’a montré les photos d’Aflou, de l’école de filles qu’il a fondée dans le Village nègre et le bracelet qu’il avait commandé à des bijoutiers juifs pour sa jeune fiancée, Annick. Annick portait ce bracelet en or filigrané ce jour-là. Luc Thiébaut n’est pas allé à Hennaya mais il s’est arrêté à Ténès avec sa fille Capucine. Il a découvert le Vieux Ténès, ville natale de mon père et il a photographié la vieille école coranique. Un ancien instituteur de Ténès qui a connu mon père, lui rappelle qu’il est interdit de photographier le patrimoine. Luc et Capucine, sa fille, ont le temps de voir le minaret de la mosquée et une école de filles. Mais pas de photos…


école. Vieux Ténes 2017 (photo Thiébaut)

12 mai

Nora Aceval, mon amie des Hauts Plateaux prend des photos tout en collectant des contes. Elle se trouve à Aïn Dheb (ex-La Fontaine dont Jean-Claude Gueneau parle dans son récit publié dans Aflou, djebel Amour (éd. Bleu autour)). Les femmes travaillent la laine et tissent des tapis. Le vieux coffre ne sera ouvert qu’après la mort de la grand-mère.


photos Nora Aceval

Avec Martine Mathieu-Job qui dirige le collectif À l’école en Algérie coloniale (titre provisoire), à paraître début 2018 aux éditions Bleu autour, nous sommes allées voir l’exposition sur l’école en Algérie de 1880 à nos jours au Musée National de l’Éducation de Rouen. La directrice et son équipe dont Saadia Dahmani nous ont reçues chaleureusement. Nous reviendrons pour présenter le recueil où 50 auteurs, juifs, chrétiens, musulmans racontent leur école en Algérie avant 1962. Florence Judowicz et Jean-Robert Henry sont les commissaires de cette belle exposition qui dure jusqu’en avril 2018. Martine a photographié des manuels scolaires destinés aux enfants « indigènes ». Mon père m’avait donné un livre précieux que j’ai toujours : Histoire de la France et de l’Algérie, cours élémentaire et moyen 1re année, de Aimé Bonnefin et Max Marchand (Hachette, 1950). (Max Marchand et Mouloud Feraoun, un ami de mon père, condisciples à l’École Normale d’Instituteurs de Bouzarea à Alger, ont été assassinés avec d’autres inspecteurs généraux, par l’OAS (Organisation de l’Armée Secrète) un groupe terroriste contre l’indépendance de l’Algérie, en 1962.) Avec ce livre, les écoliers n’ignorent pas que l’Algérie a une longue histoire, comme la France.

 

À Échirolles, en Isère, Essia, 19 ans, entraîne une équipe de foot féminine (11-13 ans). Son équipe est qualifiée pour la coupe Rhône-alpes mais Essia porte le hijeb interdit par la Fédération française de foot. Essia refuse d’enlever son foulard islamique. Son équipe est interdite de coupe Rhône-alpes. Les joueuses décident de ne pas participer au match par solidarité. Le maire d’Échirolles plaide pour Essia qui ne fait pas de prosélytisme. Essia pourra-t-elle entraîner son équipe avec le hijab ?

19-20 mai

À La Chapelle, Paris 18e, des femmes manifestent contre les insultes et les violences dont elles sont victimes de la part de certains réfugiés agressifs : insultes, intimidations, harcèlement… L’une d’elles a été menacée avec des couteaux. On pense aux femmes agressées, à Cologne en Allemagne, par des réfugiés. Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien, avait dénoncé ce comportement sexiste, il avait été accusé de racisme par des intellectuels français, de même, les manifestantes de La Chapelle sont traitées de racistes par des militants qui dénient le climat de violence.

21 mai

À Montpellier, La Comédie du livre organisée par Régis Penalva.

La France paysanne de ma mère est là, vivante, vue du train. Le travail des paysages, le corps des hommes dans les champs. Émotion lorsque le train va vers le Sud : cyprès, pins maritimes, coquelicots, vigne, peut-être des cigognes… Ce serait l’Algérie.

Lors d’une rencontre autour de L’Orient est rouge (Elyzad, 2017), un lecteur, apprenant que je suis née à Aflou sur les Hauts Plateaux algériens, raconte qu’il est né à Aflou, qu’il a appris l’arabe. Il parle de Polonais et de Russes qui auraient été envoyés en relégation à Aflou en 39-45, comme mon père (qui ne m’en a jamais parlé). Ce lecteur a été médecin en France, il a publié un récit : Médecin de campagne, une vie chez Calmann-Levy. Je le lirai.

 

Hubert Haddad a présenté sa revue Apulée (no 2) diffusée et éditée par Zulma. Une revue littéraire de tous les Suds, originale et ambitieuse que seul Hubert pouvait mener à bien avec ses amis Yahia Belaskri, Catherine Pont-Humbert en particulier.

Au restaurant des auteurs : L’assiette au bœuf, de jeunes serveuses, minijupe et mini-tablier de service vert. L’une d’elles décapsule une bouteille de Vittel entre ses cuisses tatouées dans l’allée centrale.

23 mai

Je marche dans mon quartier vers la Butte-aux-Cailles. Sur le mur du métro Corvisart, une tête de mort. Des masques grotesques sur un mur de la rue de l’Espérance.

                                Métro Corvisart, mai 2017 (coll. part.)                  Butte-aux-Cailles, mai 2017 (coll. part.)

J’apprends, lisant l’article de Cyrille Louis dans Le Figaro, l’histoire d’un quartier maghrébin dans la Vieille Ville de Jérusalem. Fondé par un descendant du Soufi de Tlemcen About Madyan au xiiie siècle, qui crée une fondation pieuse musulmane. On appelait les habitants « Al Moghrabi ». Le quartier faisait face au Mur des Lamentations. Protégé par la France jusqu’en 1962, le quartier maghrébin est rasé par l’armée israélienne en 1967.

Attentat kamikaze à Manchester. Un Britannique né dans cette ville, de parents libyens, a fait éclater une bombe lors d’un concert de l’Américaine Ariana Grande.

Fin mai

Nouvelle attaque terroriste islamiste contre les Coptes en Égypte, condamnée par l’Imam de la mosquée Al-Azhar du Caire. Depuis 2013, 500 attentats contre la communauté chrétienne copte.

Après le départ massif des Juifs dans les années 1950, les chrétiens seront-ils obligés de quitter leur pays natal depuis des siècles ?

Dans Le Monde, un article de Piotr Smolar sur les jeunes refuznikes israéliennes qui refusent de servir dans l’armée « machine répressive ». Elles risquent une exclusion familiale et sociale. Elles ont le courage des objecteurs de conscience des guerres coloniales.

 





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